Le nom « Abdelkader » est parfois translittéré « ‘Abd al-Qadir », « Abd al-Kader », « Abdul Kader » ou d’autres variantes. Il est souvent désigné simplement comme l’émir Abdelkader (puisque El Djezairi veut dire « l’Algérien »). « Ibn Muhieddine » est un patronyme qui signifie « fils de Muhieddine », et « al-Hasani » est un patronyme honorifique indiquant sa descendance de Hasan ibn Ali, le petit-fils de Mahomet. On lui donne souvent, aussi les titres d’émir « prince » et shaykh « cheikh ».
Abdelkader est né près de la ville de Mascara en 1808, d’une famille de l’aristocratie religieuse. Son père, Muhieddine (ou « Muhyi al-Din ») al-Hasani, était un muqaddam dans une institution religieuse affiliée à la confrérie soufie Qadiriyya et revendiquait une descendance de Mahomet, via les Idrisides. Abdelkader était donc un shérif, et avait le droit d’ajouter à son nom le patronyme honorifique d’al-Hasani (« descendant d’al-Hasan »).
Il a grandi dans la zaouïa de son père qui, au début du xixe siècle, était devenue le centre d’une communauté florissante sur les bords de la rivière de l’Oued al-Hammam. Comme les autres étudiants, il a reçu une éducation traditionnelle en théologie, jurisprudence et grammaire ; on disait qu’il savait lire et écrire à l’âge de cinq ans. Élève doué, Abdelkader a réussi à réciter le Coran par cœur à l’âge de 14 ans, recevant ainsi le titre d’hafiz. Un an plus tard, il est allé à Oran pour poursuivre ses études. Il était un bon orateur et pouvait exciter ses pairs avec poésies et diatribes religieuses.
En 1825, il partit avec son père faire le pèlerinage à La Mecque (hajj). Là-bas, il a rencontré l’Imam Chamil ; les deux ont longuement discuté de différents sujets. Il s’est également rendu à Damas et à Bagdad, et a visité les tombes de musulmans notables, tels que Ibn Arabi et Abd al Qadir al-Jilani, également appelé El-Jilali en Algérie. Cette expérience a cimenté son enthousiasme religieux. Sur le chemin du retour vers l’Algérie, il fut impressionné par les réformes menées par Méhémet Ali en Égypte. Il est revenu à sa patrie quelques mois avant l’arrivée des Français.
En 1830, l’Algérie a été envahie par la France ; la domination coloniale française sur l’Algérie a supplanté la domination de l’Empire ottoman et des Koulouglis. Il y avait beaucoup de ressentiments refoulés contre les Ottomans lorsque les Français sont arrivés, et en raison de nombreuses rébellions au début du xixe siècle, les Algériens ne pouvaient pas du tout s’opposer aux Français. Lorsque l’armée française arriva à Oran en janvier 1831, le père d’Abdelkader fut chargé de mener une campagne de harcèlement. Muhieddine appela au jihad, et son fils et lui firent partie de ceux impliqués dans les premières attaques sous les murs de la ville.
C’est à ce moment qu’Abdelkader apparaît au premier plan. Lors d’une réunion des tribus de l’ouest, à l’automne de 1832, il fut élu émir, ou Commandeur des Croyants (suite au refus de son père d’occuper ce poste, au motif qu’il était trop vieux). Le poste a été confirmé cinq jours plus tard à la grande mosquée de Mascara. En un an, grâce à une combinaison de raids punitifs et de politique prudente, Abdelkader avait réussi à unir les tribus de la région, et à rétablir la sécurité – sa zone d’influence couvrait désormais toute la province d’Oran. Le général français Louis Alexis Desmichels, commandant en chef local, voyait Abdelkader comme le représentant principal de la région pendant les négociations de paix et, en 1834, il signa letraité Desmichels, qui cédait presque complètement le contrôle de la province d’Oran à Abdelkader. Pour les Français, c’était une manière d’établir la paix dans la région tout en confinant Abdelkader à l’ouest ; mais son statut de co-signataire a également beaucoup contribué à l’élever aux yeux desBerbères et des Français.
Utilisant ce traité comme un départ, il imposa sa domination sur les tribus de Chelif, Miliana et Médéa. Le haut commandement français, mécontent de ce qu’ils considéraient maintenant comme les termes défavorables du traité de Desmichels, rappelèrent le général Desmichels et le remplacèrent par legénéral Trezel, ce qui provoqua une reprise des hostilités. Les guerriers tribaux d’Abdelkader rencontrèrent les forces françaises en juillet 1834 lors de la bataille de la Macta, où les Français subirent une défaite inattendue. La France a réagi en intensifiant sa campagne de pacification et, sous de nouveaux commandants, les Français ont remporté plusieurs rencontres importantes, dont la bataille de la Sikkak. Mais l’opinion politique en France devenait ambivalente envers l’Algérie, et lorsque le général français Thomas Robert Bugeaud fut déployé dans la région en avril 1837, il fut « autorisé à utiliser tous les moyens pour inciter Abd el-Kader à faire des ouvertures de paix. ». Le résultat, après de longues négociations, fut le traité de la Tafna, signé le 30 mai 1837. Ce traité donna encore plus de contrôle sur les parties intérieures de l’Algérie à Abdelkader, mais avec la reconnaissance du droit de la France à la souveraineté impériale. Abdelkader a ainsi pris le contrôle de tout Oran et étendu son influence à la province voisine de Titteri, et au-delà.
La période de paix qui a suivi le traité de la Tafna a bénéficié aux deux parties, et l’émir Abdelkader en a profité pour consolider un nouvel état fonctionnel, avec une capitale, àTagdemt. Il a minimisé son pouvoir politique, refusant à plusieurs reprises le titre de sultan et s’efforçant de se concentrer sur son autorité spirituelle. L’État qu’il a créé était largement théocratique, et la plupart des postes d’autorité étaient occupés par des membres de l’aristocratie religieuse ; même l’unité principale de la monnaie était appelée lemuhammadiyya, d’après le prophète.
Sa première action militaire était de se déplacer vers le sud dans le Sahara et at-Tijini. Ensuite, il se déplaça vers l’est jusqu’à la vallée du Chelif et du Titteri, mais le Bey de Constantine, Hadj Ahmed, lui opposa résistance. En d’autres cas, il a exigé la punition des Kouloughlisde Zouatna pour avoir soutenu les Français. À la fin de 1838, son règne s’étendait à l’est jusqu’à la Kabylie, et au sud jusqu’à Biskra et à la frontière marocaine. Il a continué à se battre à Tijini, et a assiégé sa capitale à Aïn Madhi, pendant six mois, finissant par la détruire.
Un autre aspect d’Abdelkader qui l’a aidé à diriger son pays naissant était sa capacité à trouver, et à utiliser de bons talents, indépendamment de sa nationalité. Il employa des juifs et des chrétiens sur le chemin de la construction de sa nation. L’un d’eux étaitLéon Roches. Son approche à l’armée était d’avoir une troupe permanente de 2 000 hommes soutenue par des volontaires des tribus locales. Il a placé, dans les villes de l’intérieur, des arsenaux, des entrepôts et des ateliers, où il a stocké des objets à vendre pour les achats d’armes venant d’Angleterre. Grâce à sa vie frugale (il a vécu dans une tente), il a enseigné à son peuple la nécessité de l’austérité et à travers l’éducation, il leur a enseigné la fierté nationaliste.
La paix a pris fin lorsque le duc d’Orléans, ignorant les termes du traité de la Tafna, dirigea une force expéditionnaire qui franchit les portes de fer. Le 15 octobre 1839, Abdelkader a attaqué les Français alors qu’ils colonisaient les plaines de la Mitidja, et a mis en déroute les envahisseurs. En réponse, les Français déclarent officiellement la guerre le 18 novembre 1839. Les combats s’embourbent jusqu’à ce que le général Thomas Robert Bugeaud retourne en Algérie, cette fois en tant que gouverneur général, en février 1841. Abdelkader est initialement encouragé à entendre que Bugeaud, le promoteur du Traité de la Tafna, revenait ; mais cette fois, la tactique de Bugeaud serait radicalement différente. Cette fois-ci, son approche était celle de l’annihilation, avec la conquête de l’Algérie comme finalité :
« J’entrerai dans vos montagnes ; je brûlerai vos villages et vos moissons ; je couperai vos arbres fruitiers.
– Général Bugeaud, 24 janvier 1845. »
Abdelkader a été efficace en pratiquant la guérilla et, pendant une décennie, jusqu’en 1842, a remporté de nombreuses batailles. Il a souvent signé des trêves tactiques avec les Français, mais celles-ci n’ont pas duré. Sa base de pouvoir était dans la partie occidentale de l’Algérie, où il a réussi à unir les tribus contre les Français. Il était connu pour sa chevalerie ; à une occasion, il a libéré ses captifs français simplement parce qu’il n’avait pas assez de nourriture pour les nourrir. Au cours de cette période, Abdelkader a fait preuve de leadership politique et militaire et a agi comme un administrateur compétent et un orateur persuasif. Sa foi fervente dans les doctrines de l’Islam était incontestée.
Jusqu’au début de 1842, la lutte allait en sa faveur. cependant, la résistance a été réprimée par le maréchal Bugeaud, en raison de l’adaptation de Bugeaud à la tactique de guérilla utilisée par Abdelkader. Abdelkader frappait vite et disparaissait dans le terrain avec l’infanterie légère ; Cependant, les Français ont augmenté leur mobilité. Les armées françaises ont réprimé brutalement la population indigène et pratiqué une politique de la terre brûlée dans la campagne pour forcer les habitants à mourir de faim afin de déserter leur chef. En 1841, ses fortifications ont presque été détruites, et il a été forcé d’errer à l’intérieur d’Oran. En 1842, il avait perdu le contrôle de Tlemcen et ses lignes de communication avec le Maroc n’étaient pas efficaces. Il a réussi à passer la frontière au Maroc pour un sursis, mais les Français ont vaincu les Marocains à la bataille d’Isly. Il a quitté le Maroc et a pu continuer le combat contre les Français en capturant Sidi Brahim, à la bataille de Sidi-Brahim.
Abdelkader a en fin de compte été contraint de se rendre. Son échec à obtenir le soutien des tribus de l’est, à l’exception des Berbères de l’ouest de la Kabylie, avait contribué à l’étouffement de la rébellion, et un décret d’Abd al-Rahman du Maroc, après le traité de Tanger, avait banni l’émir de tout son royaume. Le 21 décembre 1847, Abdelkader se rendit au général Louis de Lamoricière en échange de la promesse qu’il serait autorisé a aller à Alexandrie ou à Acre. Il aurait commenté sa propre reddition avec les mots : « Et Dieu défait ce que ma main a fait » (bien que cela soit probablement apocryphe). Sa demande fut acceptée et, deux jours plus tard, sa reddition fut rendue officielle au gouverneur général français d’Algérie, Henri d’Orléans, duc d’Aumale, auquel Abdelkader remit symboliquement son cheval de bataille. En fin de compte, cependant, le gouvernement français a refusé d’honorer la promesse de Lamoricière : Abdelkader a été envoyé en France et, au lieu d’être autorisé à être conduit à l’Est, a été gardé en captivité.