Elle a pris sous son aile tout un mouvement musical naissant entre l’Algérie et le Mali, en nourrissant de jeunes musiciens dont certains connaissent aujourd’hui la gloire, de poésie et de mélodies ancestrales. Badi Lalla, la doyenne du tindi, enchante encore les mélomanes de sa musique sortie du tréfonds de l’Ahaggar. Toujours drapée du traditionnel Tisseghnest, boîtant légèrement sous le poids de ses 79 ans, «Lalla», comme aiment à l’appeler les Touareg, continue à accompagner sur scène ses protégés du groupe «Tinariwen» et d’initier d’autres troupes traditionnelles ou modernes à Tamanrasset.
Depuis décembre 2015, celle que les Touaregs considèrent comme leur «mère spirituelle» au même titre que les doyennes de l’imzad, ne cesse d’alimenter les colonnes de la presse européenne après son passage sur une scène parisienne avec «Tinariwen» pour l’enregistrement de leur dernier album live. Lors des principales manifestations culturelles de Tamanrasset, Lalla accueille les invités de la capitale de l’Ahaggar assise à même le sol en compagnie d’autres femmes touarègues autour d’un instrument de percussion en forme de mortier, le «tindi», et entourée de méharis comme il sied aux plus authentiques cérémonies de la région.
En ville, au pied du tombeau de la reine touarègue Tin Hinan, comme en plein désert, Badi Lalla, doyenne du tindi, se fait un point d’honneur de déclamer elle même les poèmes anciens, en tamasheq, soutenue par le rythme en boucle produit par ce mortier de bois, si singulier. Sur scène ou lors de cérémonies, «Lalla» donne toujours l’impression à ses spectateurs qu’à travers elle, «c’est le désert qui parle» et que les ancêtres des Touareg racontent leur histoire et leurs légendes du fin fond des montagnes de l’Ahaggar. Depuis une vingtaine d’années, «Lalla» investit la scène artistique avec un autre style après sa collaboration, au début des années 1990, avec de jeunes musiciens et militants touareg maliens qui avaient le blues et le Ténéré chevillés au corps et qui formèrent «Tinariwen».
Née en 1937 à In Guezzam, au sud de Tamanrasset, près de la frontière algéro-nigérienne, Badi Lalla, Badi Lalla Bent Salem de son vrai nom, diffuse dans le paysage musical targui sa poésie qu’elle collecte depuis l’âge de dix ans auprès de sa mère Lansari Bakka. Après son expérience avec Tinariwen, Lalla se lance dans un style particulier basé sur la poésie et les rythmes de ce chant ancestral, en introduisant la guitare électrique, et les sonorités du blues du Ténéré, la basse et de nouveaux instruments de percussion.
Ce travail de recherche et de fusion a donné naissance à ce qu’elle appellera le «Tindi guitare», un moyen d’initiation à ce genre accessible aux jeunes artistes et jadis réservé aux nobles parmi la population de l’Ahaggar, tout en s’appliquant à vulgariser cette poésie initialement chantée en cercle restreint lors des cérémonies sacrées. Badi Lalla collabore également depuis une dizaine d’années avec les équipes de l’Office du Parc national culturel de l’Ahaggar (Opnca) pour enregistrer, transcrire et traduire son patrimoine poétique et musical.
Depuis le succès planétaire du groupe «Tinariwen», Grammy award du meilleur album de musique du monde en 2011 pour «Tassili», un grand nombre de jeunes musiciens «Ishumar» (déformation de «chômeur» en tamasheq), un mouvement musical introduit par des artistes du Sahel, évoluent autour de «Lalla» et de son nouveau style. Un style, si empreint de spiritualité, qui donne une seconde vie au tindi, une poésie authentique que les «Kel tamasheq», ou les enfants du tamasheq, se transmettent de génération en génération dans ces vastes contrées désertiques.